"Ah, ça c’est un truc qui plaît bien aux médias." A l’heure d’évoquer ses séances "videos-bières", Fabien Courtial a le sourire. "On n’a jamais cherché à communiquer dessus, mais c’est notre fonctionnement à nous. On a réussi à passer les niveaux comme ça, je ne vois pas pourquoi ça changerait, explique le coach, qui anime en effet sa séance vidéo de veille de match en laissant bières et chips à portée de main de ses joueurs. Mais attention, je demande quand même aux joueurs d’être plus attentifs à ce que je dis, qu'au paquet de chips qui n’est pas encore arrivé entre leurs mains !" Un fonctionnement hors-norme devenu la marque de fabrique de Saran, actuellement 8e malgré son statut de promu et de plus petit budget de Lidl Starligue. Une singularité cultivée par Fabien Courtial, entraîneur et manager général d’un club qu’il fréquente depuis plus de vingt ans et qu’il a fait passer de Nationale 2 à l’élite en moins sept ans.
Arrivé en provenance de Jargeau (Loiret), le jeune homme partage alors son temps entre le handball, le tennis… et le skate. "Quand tous les copains sont partis en sport-études, moi je passais mes après-midi à faire du skate, sourit-il. C’est finalement à l’âge de 17 ans que je m’y suis mis sérieusement." Le jeune ailier gauche écume alors les parquets de Nationale 2, Nationale 1 et même de Division 2 avec le club de Gien. "C’était un showman, il adorait faire des roucoulettes, des gestes de ce genre, se souvient Laurent Théophile, son ancien coéquipier. En revanche, il était bien moins concerné par la partie défensive. Il tentait bien quelques interceptions mais ça passait rarement, et nous, ça nous mettait souvent dans la merde !" Un manque d’investissement défensif reconnu par l’intéressé. "Je voulais mes deux interceptions pour mettre mes deux buts. C’était en effet assez égocentrique", convient-il.
Une prise de poste pas vraiment programmée
En parallèle de sa carrière, le jeune Fabien devient professeur d’EPS au collège. Sans faire de bruit, l’envie d'entraîner commence alors à pointer le bout de son nez. "Forcément, être prof, ça aide dans l’idée de conduire un groupe. Il y a la nécessité d’analyser chaque individu pour adapter son mode d’échange. Il faut aussi identifier les leaders… Et puis, au final, il y a des comportements de joueurs pros qui ne sont pas si éloignés de celui du collégien", souffle celui qui raccroche les baskets en 2010, à l’âge de 33 ans. "Ma deuxième fille est arrivée, et nous avons décidé en famille que j’allais arrêter de m’absenter les week-ends et tous les soirs de la semaine. On m’a juste demander d’entraîner l’équipe réserve qui était alors en Prénationale."
Trois mois plus tard, Duarte Da Costa, entraîneur de l’équipe principale se voit offrir une opportunité professionnelle pour travailler en région parisienne. Celui qui est désormais le président du club l’accepte, et le club saranais se tourne alors vers Fabien Courtial pour diriger son équipe première. "On était derniers de Nationale 1, et il a pris le poste plus pour jouer au handball que pour chercher à se maintenir, se remémore Yoann Perrin, encore membre de l’équipe première actuellement. Son enjeu c’était de prendre du plaisir, il ne savait pas si tout ça allait lui aller." "Mais ça m’a plu tout de suite, répond celui qui doit alors passer de statut d’ex-coéquipier à celui de coach en chef. On avait une blague après les matches. Je regardais ma montre et je leur disais: « Ca y est, je ne suis plus l’entraîneur ». Et je pouvais me lâcher un peu plus, car j’ai eu la chance de tomber sur des mecs capables de faire la part des choses."
Adepte du management participatif
Un changement de statut "joueur-entraîneur" tout de même particulier. "Mais ce changement, il l’a mieux géré que lorsque Duarte avait pris l'équipe. Pour Duarte, ça a été plus dur car il buvait un peu plus de bières, sourit Laurent Théophile. Fabien en buvait quelques-une mais il n’était de toute façon pas du genre à se coucher à 5h." Reste tout de même cette volonté de rester proche de son groupe, à 1000 lieues du technicien froid, incapable de sauter la barrière joueur-entraîneur. "C’est quelqu’un qui n’hésite pas à chambrer, à faire des boutades, ou à boire une bière avec nous. Certains, quand ils arrivent au club, hallucinent un peu. Mais Fabien est resté très joueur dans l’âme", décrypte Yoann Perrin. Une personnalité qui déteint sur sa gestion du groupe. "Il laisse beaucoup la parole à son groupe. Il y a beaucoup d’échange, de partage. Il est vraiment adepte du management participatif", dépeint Duarte Da Costa.
Une donnée qui entre évidemment en ligne de compte lorsque Fabien Courtial se penche sur son recrutement. "Déjà j’aime beaucoup regarder les matches de handball en général, donc je regarde pas mal d’images. Mais je m’intéresse aussi à la personnalité du joueur. J’ai besoin d’avoir ce contact, ce feeling. Il faut que je sente que ça soit quelqu’un avec qui je peux échanger sans que ça soit un problème, note-t-il. Mais bon, ce n’est pas parce qu’un joueur est gentil que je vais le prendre. Il faut aussi qu’il sache un minimum jouer au handball." C’est là que la deuxième dimension du technicien intervient. "Il y a deux grands thèmes dans ce métier: les relations humaines et la tactique, car j’estime qu’en tant qu’entraîneur de haut niveau, on ne fait plus vraiment de technique", analyse le Saranais, qui là encore n’hésite pas à plancher de nombreuses heures.
Et la tactique dans tout ça ?
"Fabien est un passionné, et comme tous les passionnés, il s’interroge beaucoup sur son activité. Il est à la recherche constante d’évolutions tactiques, et notamment sur ce jeu à 7 qui nous a réussi lors de la première partie de saison", explique son président. "Sur ce point, je dois dire que lorsque j’ai découvert cette règle, je me suis dit: « bof ». Mais j’ai perdu Ibou Diaw et Jean-Jacques Acquevillo, mes seuls tireurs de loin au poste d'arrière gauche. Et comme on ne pouvait plus passer par au-dessus, je me suis dit qu’on pouvait essayer de contourner. Alors certes, ce n’est pas le handball qu’on aime, le beau jeu, mais entre la beauté et la réalité du classement, j’ai vite fait le choix, glisse celui qui, la saison passée n’hésitait pas à changer de tactique, notamment défensive, à chaque rencontre. Au tout début je me suis posé la question: est-ce à nous d’imposer notre jeu, ou va-t-on modifier le jeu de notre adversaire ? J’ai choisi la deuxième option."
Un choix qu’il faut imposer à des joueurs pas toujours ravis de devoir rentrer dans une case puis une autre. "Mais c’est difficile de le contredire car ça fonctionne. On a compris qu’il fallait lui faire confiance, glisse Yoann Perrin. Et puis il n’impose rien, tout se fait dans le dialogue. Et de ce que j’en vois, c’est qu’il arrive très bien à se débrouiller avec les moyens du bord. Il arrive à tirer le meilleur de chacun, et notamment grâce à sa gestion tactique. Il se creuse vraiment la tête pour ça." Une réflexion pour le moment pas prête de s’arrêter puisque Saran continue de progresser chaque année et Fabien Courtial voit encore plus loin, sans regarder vers l’extérieur. "Il y a un super projet ici, et je ne sais pas si tout ça pourrait fonctionner ailleurs. J’ai beaucoup de libertés dans mon travail, et chaque année on parvient à progresser. Tout ça est vraiment excitant", conclut-il. Les séances vidéos-bières ont encore quelques années devant elles…
Benoît Conta