Mathieu Lanfranchi: ''Fier de mon parcours atypique''

LNH - Publié le 31 juillet 2020 à 08h22
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Passé par Vernon, Dijon et Cesson-Rennes, Mathieu Lanfranchi revient sur sa carrière atypique à travers quelques évènements marquants.

Mon premier match avec les pros

« Je vais prendre mon premier match avec Vernon, en 2005. Mais c’était encore semi-pro, puisque j’étais pion à côté. J’avais 23 ans, j’arrivais de N3, à Oissel. Je n’avais pas vraiment le profil pour le haut-niveau, mais l’opportunité s’est présentée. J’étais à l’IUFM pour devenir prof d’EPS et j’avais des potes, Kacem Ouadah et Nicolas Perzo-Piel, qui jouaient à la fac avec moi, et qui jouaient à Vernon. Ils ont demandé à leur coach, Denis Lathoud, si je pouvais m’entraîner avec eux et il m’a laissé une petite fenêtre de tir pour m’entraîner le jeudi avec eux car ils avaient des blessés. Je faisais aussi la muscu le samedi matin. J’avais vraiment la volonté d’essayer de tenter ma chance car mon parcours n’était jusque-là pas orienté vers le haut niveau. On m’a toujours dit que j’étais trop petit. Je n’ai même pas fait l’équipe de l’Eure. (sourire) Donc j’ai beaucoup bossé et à la fin de la saison, Denis a souhaité que je reste. Même si lui ne s’est pas entendu avec les dirigeants et n’est pas resté, Dragan Zovko a repris la suite et m’a fait signer mon premier contrat semi-pro. Un contrat magnifique puisque je touchais 200 euros, et 400 euros en prime de spectacle. (rires) Et quand il n’y avait pas de match, je ne touchais pas la prime. Donc il fallait travailler à côté. (sourire)  Sur le handball, Dragan m’a vit dit: « toi tu vas jouer pivot », alors que je n’avais jamais joué là. J’ai dit OK. (sourire) Et puis, sur ce premier match, on va jouer à Saint-Raphaël, qui était le gros favori de la saison, et on gagne d’un but là-bas. C’est ce qui a lancé notre saison pour finir champion cette année-là. »

Mon dernier match en pro

« C’était en juin 2018 et ça s’est un peu fini en eau de boudin. C’était un peu particulier car j’avais pris ma retraite sportive un an plus tôt et j’étais passé entraîneur du centre de formation. Mais l’équipe était en difficulté et le club m’a demandé de remettre les baskets pour filer un coup de main. J’ai dit OK car j’ai toujours été content de jouer. Au final, on se sauve au final à l’avant dernière journée. Mais le contexte était vraiment particulier, dans un club qui était à l’époque en mutation. Les dirigeants avaient décidé de ne pas faire de au-revoir aux joueurs à part à un, alors qu’il y avait 6/7 joueurs qui ne restaient pas. C’est un mauvais souvenir car je pense que le club n’a pas les choses comme il aurait dû les faire. Certes il y avait la déception de la saison, puisqu’on n’avait pas fait une bonne saison, mais c’était une équipe en reconstruction. Les dirigeants n’ont pas été très classe ce jour-là, et ça s’est senti au sein de l’équipe. Et d’ailleurs, le mec à qui le club a choisi de dire au-revoir était très gêné par rapport à la situation, et s’est même excusé auprès des joueurs… Bon, je ne dis ça spécialement pour moi car j’avais eu droit à un au-revoir la saison d’avant, mais les joueurs auraient aimé un geste, sans que ce soit un grand truc. Juste une marque de reconnaissance, même si on n’avait pas été très bons cette saison-là. Ca méritait un peu plus de respect. » 

Mon meilleur souvenir

« En tant que joueur pro, je vais mettre le titre de champion de D2 avec Vernon, sur ma première saison. Et puis il y a la montée en D1 avec Dijon, en 2009. On avait réussi à créer un joli truc avec les mecs cette saison-là. On n’était pas les meilleurs handballeurs du monde mais on marchait sur des valeurs qui, pour moi, ont un peu disparu du monde pro. Elles sont atténuées par les exigences de résultats et l’argent qui est entré dans le handball. Ce sont vraiment deux moments très particuliers. Ce n’est pas un match en particulier mais vraiment une saison dans sa globalité, un contexte. A Vernon, c’était ma première saison, je découvrais le haut-niveau, je jouais avec des grands joueurs et on finit champions. En plus j’enchaînais car j’avais finis champion de N3 avec Oissel et champion de France universitaire la saison précédente. C’était une super période. Et puis à Dijon, c’était aussi spécial car on était ultra-favoris et après cinq matches, on n’en avait pas gagné un. (sourire) Là on commençait à se tirer dans les pattes. Mais on a finalement réussi à trouver notre vitesse de croisière. C’était vraiment un groupe de potes, et Denis (Lathoud) avait réussi à nous faire produire du beau handball. C’était vraiment sympa à vivre. » 

Mon pire souvenir

« Les années ou ça descend, forcément. Surtout, et c'est souvent le cas, à chaque fois que je suis descendu, que ce soit avec Vernon et Dijon, on descend pour rien. Et le pire, pour moi, c’était avec Dijon, en 2011. Là, j’ai vraiment eu l’impression qu’on s’était fait voler. On avait notamment un match contre Ivry, qui passait à la TV, sur Eurosport, où l’on perd d’un but et on a une occasion vraiment claire d’avoir un penalty dans les dernières secondes et les arbitres ne le sifflent pas. Et derrière ça part en bagarre avec les joueurs d’Ivry, le public. Et au final, on descend sur un point, et c’est l’année ou Saint-Cyr est rétrogradé administrativement. On aurait pu se sauver sur dossier… Et puis la saison suivante, je retrouve l’un des deux arbitres qui m’a reproché d’avoir râlé à la télé, car ils ont été rétrogradés à cause de ça. Je lui ai répondu que nous aussi ça avait couté une rétrogradation, mais que ça aussi voulait dire une perte de contrat pour certains joueurs… Après c’est une erreur d’arbitrage, ce n’était pas volontaire, et encore fallait-il le mettre derrière… Mais c’est tellement frustrant car ça mettait aussi fin à une belle aventure humaine. » 

Le meilleur joueur avec lequel j'ai joué

« Patrik Cavar. C’était à Vernon, en deuxième division. C’était pour moi un des meilleurs joueurs de l’histoire du handball et on se demandait un peu comment il s’était retrouvé là. (sourire) Et au final, c’était un ninja. (rires) Il savait joué à tous les postes, c’était impressionnant. A l’époque, il ne parlait pas français, mais comme je parlais espagnol, je lui ai appris à parler français et lui il m’a appris à jouer pivot. (rires) C’est lui qui m’a appris les spécificités du poste. Il était ailier à la base, mais il avait joué un peu partout en Espagne, que ce soit à Granollers ou Barcelone, tout en terminant dans les meilleurs buteurs du championnat. »

Le meilleur joueur contre lequel j'ai joué

« Je vais dire Mladen Bojinovic. Il avait une façon de faire… Il était tellement nonchalant, lent, mais c’était toujours super précis et efficace pour l’équipe. C’était toujours très juste tactiquement, c’était impressionnant. Après, j’ai pu jouer contre des mecs comme Karabatic, Hansen, tous ces mecs-là qui sont hors-normes. Mais Mladen, avec l’énergie qu’il dépensait, il était vraiment efficient. C’était l’efficacité à moindre coût. (sourire)  Après, le mec contre qui j’ai le plus apprécié de jouer, c’est Michaël Guigou. Jamais un comportement déplacé, rien. Le mec a tout gagné, c’est une idole pour des milliers de handballeurs, mais jamais un mot plus haut que l’autre. Toujours dans le respect. Alors que certains autres grands joueur n’ont pas cette humilité... »

L'entraîneur qui m'a le plus marqué

« Je suis obligé de dire Denis Lathoud. C’est lui qui m’a vraiment mis le pied à l’étrier. Dans un autre contexte, je ne sais pas si j’aurais pu percer dans ce milieu-là. Il a su voir quelque-chose que personne n’avait vu jusque-là. (sourire) Après j’ai appris beaucoup de choses de tous mes entraîneurs, de Dragan Zovko jusqu’à Yérime Sylla, mais Denis a été le point de départ de tout ça. Et je ne peux que le remercier. » 

Mon coéquipier le plus fou

Crédit: Dijon Sportnews

« Brice Versol. Un gros nounours aussi gentil qu’il pouvait être très dur sur un terrain. Je l’ai vu faire des choses inimaginables. Il était capable de faire aussi mal qu’il était gentil. Et je ne précise pas à quel point il était gentil. (rires) »

La plus grosse fête

« Il y en a eu pas mal. Mais je vais dire les premières années à Cesson. On était sponsorisés par une discothèque et on avait accès libre à la boîte de nuit. (sourire) A l’époque, on jouait en plus le vendredi soir, donc on a passé de belles soirées avec des mecs comme Romain Ternel, Benoît Chanteraud ou Nicolas Lemonne. On avait vraiment un groupe extraordinaire et je retrouvais un peu les mêmes valeurs qu’à Dijon. On n’était pas les meilleurs du monde, mais on pouvait aller à la guerre ensemble et ça se retrouvait en dehors du terrain. » 

La plus grosse engueulade

« C’était avec Denis (Lathoud). C’était à un entraînement, et Marc Poletti était déjà Dijon à l’époque. Marco, c’est vraiment un super joueur, un joueur de club, mais il a aussi une capacité à se foutre royalement de tout. (rires) Et un jour Denis laisse couler en disant: « de toute façon il s’en fou ». Et moi ça m’avait fait péter un câble. Je trouvais ça injuste en fait. Je ne comprenais pas que quelqu’un ne respecte pas le plan de jeu et fasse ce qu’il veut. Du coup Denis m’avait sorti et on s’est engueulé comme du poisson pourri. En fait, je ne le savais pas encore, mais Denis était très fort dans sa façon de gérer Marco. Car là où Marco était très fort, c’est quand il avait justement cette liberté de jouer. Mais moi je venais de passer trois ans avec Dragan (Zovko), où c’était la rigueur à l’extrême, ça m’avait choqué. (sourire) Et je me suis retrouvé à faire du gainage pour ensuite m'excuser auprès de Denis et de l’équipe. (rires) »

Mon plus gros regret

« Que tous les entraîneurs de "grandes équipes" qui ont vanté mes qualités - qui était ce qu’elles étaient, je n’étais pas le meilleur du monde - ne m'aient pas donné ma chance. Il y en a beaucoup qui ont dit: « oui Mathieu a les qualités pour jouer dans notre équipe ». Mais, au final, pas un n’a eu les couilles de me donner ma chance dans une équipe qui jouait la Coupe d’Europe. J’aurais vraiment voulu jouer la Coupe d’Europe. Après, l’équipe de France, j’y ai rêvé à un moment, mais je reconnais que ça marchait très bien comme c’était à l’époque, avec des mecs qui tournaient bien. Et maintenant que je suis entraîneur, je sais comment un groupe fonctionne et c’était logique que je ne sois pas sélectionné, même si j’y ai aspiré par mes performances à une époque. Mais pour la Coupe d’Europe, c’est un vrai regret car pas un entraîneur ne m’a fait signé le fameux contrat. J’ai d’ailleurs une anecdote là-dessus. Après un match avec Dijon, contre Montpellier. Je performais vraiment pas mal en attaque à l’époque (8/8 sur ce match, ndlr). Et en conférence de presse, un journaliste interroge Patrice Canayer sur ma performance et sur l’opportunité pour moi de jouer dans une équipe comme Montpellier. Il avait répondu: « Mathieu, avec son style atypique, aurait tout à fait sa place pour jouer dans une équipe comme Montpellier. S’il avait 10cm de plus, on serait en train de signer le contrat ». Du coup je suis monté sur la chaise et j’ai lancé: « Il est où le contrat ? » (rires) Ca l’a fait sourire mais je n’ai jamais signé à Montpellier... (sourire) »

Ma plus grosse fierté

« Je pense ne pas avoir oublié d’où je viens. Mon parcours a été particulier, je ne suis pas passé par le cursus « normal », je n’ai pas fait de centre de formation. Mais j’ai eu la chance de connaître ce monde professionnel, de gagner ma vie avec ma passion. Et aujourd’hui encore j’ai encore des contacts avec les gens qui m’ont construit dans le handball, mais en tant qu’homme, avant ma carrière pro. Les premiers copains de fac, à Oissel, etc. Et il m’est arrivé de prendre un peu la grosse tête, de me voir un peu plus beau que je ne l’étais. Et ces gens-là ont été capable de me remettre les pieds sur terre. Et aujourd’hui encore, on se voit. Je pense ne pas avoir oublié d’où je venais, ce qui a fait mon parcours atypique, dont je suis fier. Ma carrière est ce qu’elle est, c’est sûrement pas la plus belle du championnat, mais j'en suis content. (sourire) »

Et maintenant...

« Je découvre le métier d’entraîneur. Ca fait trois ans que c’est mon boulot à plein temps. J’aime beaucoup ce métier. C’est aussi là que je découvre que c’est facile de juste jouer au handball. (rires) Mais j’aime beaucoup ce métier, le fait de gérer un groupe, des individualités au sein d’un groupe. J’ai commencé par travailler dans un centre de formation (Cesson-Rennes), puis je suis parti à Frontignan où j’ai découvert un club et un groupe très sain. Et puis j’ai désormais la chance de désormais bosser avec un ami, Guillaume Saurina, sur une groupe de filles (Nantes) que j’apprends à connaître. On a un beau projet ici, et je suis vraiment content. On a pas mal de boulot, mais je kiffe ça. Avec Guillaume, on forme vraiment un duo. Il ne me considère pas comme un adjoint, mais comme un numéro 1 bis. On a la chance de voir le handball et la vie de la même façon et j’ai une vraie place dans la vie de l’équipe, dans la vie du club. J’ai envie de travailler avec lui encore de longues années. Et si Montpellier appelle ? (rires) Pourquoi ne pas y aller avec Guillaume alors ! Ce sera avec grand plaisir (sourire) »

Crédit: NLA

Benoît Conta